Le Bief

Description - Territoire - Histoire

Gentil lecteur, aimable lectrice, sois bienvenu dans le Bief ! Là tout n'est que douceur, luxe, calme et volupté, là vivent les plus belles pucelles et plus courtois chevaliers !

Le Bief ! Terre où pousse d'or les produits de la Treille, les melons pleins de miel et les vifs rododendrons !

Le Bief ! Où tous les seigneurs se rencontrent pour voir jouter leur fils, leur guerriers, de leurs veines la fierté ! Voyez les s'attrouper sous les dais tendus dans les champs, voyez flotter ces armées d'oriflammes aus vent ! Là, ce n'est que dame qui sous leur draps blancs s'empourprent à la venue d'un chevalier de belle mine ; ici, ce sont les pages et les archers qui se montrent aux servantes aussi aimables que leurs maîtres.

Dans les jardins taillés où se dressent fièrement le joli rosiers, le cyprès taillé, le buis domestiqué, ce ne sont qu'allées et venues, sonnets troussés, chansons tressées pour les belles par les harpes de Villevieille, plateau de figues, gâteaux aux pêches dressés pour plaire aux palais. Et que dire des banquets du soir ? Quand cinq plats se conjuguent à dix entremets et que coule dans les coupes le vin rubis balais ? Le seigneur Lord Hightower, de royal lignage, protecteur de la Citadelle, adresse un discours érudit digne des plus grands archimestre ! Puis cet éminent gardien de la Foi fait venir sept septons aux sept couleurs de l'arc-en-ciel qui chantent d'une voix divines les Grâces et des Louanges ! Et pendant tout ce temps, tous observent pieuses mines, et pas un seul des chevaliers présents ne tousse ni ne rote ni ne dort !

Pour le dessert, enfin, quand se versent les plus doux capiteux enmiéllés et que se libèrent les conversations plaisantes, voici venir les trouvères et les troubadours qui divertissent les oreilles de leur gestes éloquentes ! Entendez-vous conter l'histoire des Ormes, qui fuirent des austères terre de l'Ouest pour trouver refuge dans le sud hospitalier et, par leur audace et leur courage, retrouver terres et prospérité ? Entendez-vous les exploits du ser fort preux et courtois Ser Guévain de la Vermette, qui combattit les Dorniens pour sa vertueuse belle ?

Assurément, peu d'endroit vit tel rassemblement de gens d'aussi grande qualité que ce tournoi du seigneur Lord Evrar Hightower !

Mais voici l'aube qui paraît, gentil lecteur, les serviteurs remballent les tentes sous le chant de l'alouette, messagère du matin. Remets-toi donc en route ; traverse avec moi les vals ombragés de la Mander aux flancs croulant sous les fruits de la vigne pour aller, tranquillement, plus au nord, admirer les merveilles sauvages des Collines de l'Ouest.

Extrait de Relation de mes pérégrinations sur les belles routes de nostre prospère royaume, avec moultes remarques érudites sur ses états géographiques, marchands et historiques par Mestre Parlen



La Geste de Ser Guévain de la Vermette

Pour mieux illustrer la courtoisie et la chevalerie si caractéristiques des douces terres du Bief, je suivrais la suggestion de mestre Parlen en vous transcrivant ci-après la chanson de Ser Guévain de la Vermette. La chanson gagnant à être interpréter par un ménestrel capable de renforcer le verve du texte par la musique et l'expressivité du chant, je ne saurais que trop recommender à messeigneurs de se faire conter la geste de telle façon.

Que ma dame me permette
De lui chanter les aventures
Du Ser Guévain de la Vermette,
Qui avec armes et montures
A guerroyé en terre de Dorne
Pour les roses d’une pucelle
A la nuque comme licorne.

Il la voit pour la prime fois
En le tournoi de son ser père
Où pour elle joute moultes fois
Et rompt trois lances de bon fer.
Perdu d’amour, transi de peine
Au quart combat il goûte terre,
Mais s’en depart courtois, sans haine.

“Beau chevalier, dit la pucelle
Que vous joûtâtes joliment
Voici pour vous violette belle.
Pour moi portez la fièrement.”
A ces doux mots, il manque choir
Et tout perdu s’écrie bien bas :
“Dame ! Laissez-moi venir ce soir !”

“Ser chevalier, dit la pucelle
Las mon honneur me l’interdit,
Ainsi mon père qui me veut telle.
Mais fais-toi digne, bel ami :
Apporte-moi donc une rose
Qui pousse près des eaux de Dorne.
Va, cours, vole, épouse ma cause !

Oyant ces mots, sans plus tarder
Le chevalier se met en quête
De belle fleurs en Dorne née,
Va vers les Marches faire conquête :
Ni les gran’ crues de la Mander
Ni les appâts des paysannes
Ni des Monts Rouges les hauteurs

N’entravent la course du preux ser
Qui n’a bagage ni compagnon,
- Grand chevalier solitaire -
Fors deux chemises de maillons
Un pic, deux masses et trois lances,
Deux destriers et un coursier
Et, pour lui préparer pitances

Porter ses armes, clouer ses fers
Et témoigner de ses exploits
Seul’ment un pages pas encore ser
Et deux gents d’arme tout courtois.
Enfin voici la maychante Dorne
Où un bourg fort a esté mis
Où brillent fleurs comme licorne.

Guévain s’éprend, son sang se tourne
Il se présente aux portes closes
Et réclame qu’on ne ristourne :
Il est venu pour une rose
Il ne partira pas pour moins
Et défie fort le ser des lieux.
Longtemps le bourg ne répond point

Puis sort enfin un grand guerrier
Qui de sa lance charge Guévain.
Le combat rage entre défiés :
Pendant un jour leurs coups sont vains,
La nuit qui suit les voit poursuivre
Lever épées, viser leurs seins.

Les lances se brisent, les masses se fendent
Les boucliers deviennent esquilles
Avec plus rien ils se défendent
Ils versent leur sang sur les charmilles.
Mais nul des deux finit touché.
Deux jours, deux nuits passent ainsi
Sous les yeux de tous, fascinés.

Et puis ensemble, tous les deux,
Ils tombent à terre, fatigués.
Guévain est miséricordieux :
Premier debout, il laisse l’épée
Accorde pardon à l’ennemi
Et va cueillir la rose des prés.
Il est vainqueur, auguste, grandi.

Le ser de Dorne est confondu,
Dit de Guévain qu’il a coeur d’or,
Plie le genoux, se dit vaincu,
Et offre en gage tout son trésor.
Guévain tout riant le relève,
Dit qu’il ne prendra que les roses
Et un peu d’or en signe de trève.

Bien étonné par tant d’honneur
Tout le bourg fort l’acclame haut,
Souhaitant pour lui un grand bonheur,
Jetant des fleurs et gentils mots.
Ravi par tant de bonnes âmes
L’un des gens d’arme dit rester
Pour prendre terre et bonne femme.

Le coeur joyeux sous ces vivats
Vers la pucelle son amie
En son château Guévain s’en va
Il se présente, au mieux mis,
Salue son hôte, seigneur père,
Demande après la dame belle
Et est reçu sans un impair.

Il chante son fait en modestie,
Sans trop en faire ni rajouter.
De vive voix et chaudement
La fille du duc le remercie
Et lui promet sa récompense
Pour tard le soir, après souper,
Après le vin, après la danse.

A l’heure dite, il la rencontre
Dans le jardin, sous les rosiers.
Elle l’embrasse, le presse contre,
Lui dit : “Hélas, beau chevalier,
Pucelle je suis, je dois rester.”
“Vous vous dédîtes !” s’écrie Guévain
Le coeur trahi, tout outragé.

“Rassurez-vous mon cher ami
Les amours purs sont les plus beaux
Profitons doux de cette nuit
Sentez ces roses, oyez l’oiseau !”
“Mais...mais...Madame ! poursuit le ser
Sous les coups durs de l’émotion.
Je risquai gros, perdis un frère !”

Il se jeta tout éperdu
Aux genoux d’elle, l’âme en ravage
Les yeux humides, l’esprit confus,
L’amour tourné en pieuse rage.
“Allons, allons, reprit la dame
Toute riante. Reprenez-vous,
Je suis contente mais, pauvre femme,

Obéissante à mon cher père.
Si vous voulez bien m’épouser,
Demandez-lui ce qu’il faut faire.
En attendant, que vous croyez,
En-devers vous et contre tous
Je garderai ma chasteté.
Ne craignez rien, l’espoir repousse !

Pucelle je suis, je dois rester.
Mais n’ayez peur, je vous suis douce.
Je garderai ma chasteté
Mais demoiselles du Bieffé
Ont maintes façon de remercier...


Ainsi parla la belle pucelle
A la nuque comme licorne
A la joue blanche, au teint vermell,
Qui demanda rose de Dorne
A ser Guévain de la Vermette.
Ores mes dames et compagnons
Souffrez bien que l’on me permette
- Il se fait tard et j’ai grand soif -
D’achever ici ma chanson.


Retranscription de la geste de Ser Guévain de la Vermette, auteur inconnu.


En conclusion de ce premier aperçu de l'esprit du Bief, je me permets de mettre en garde le lecteur sur cette geste. Si elle dépeint bien l'attitude courtoise et chevaleresque des nobles chevaliers et damoiselles du Bief, la peinture qui est faite du ser dornien est hautement improbable, lui prêtant l'honneur et les valeurs de son homologue. L'imagerie populaire dépeint plus souvent les personnages dorniens comme fourbes et retors, usant de poisons et insultes voilées à la cour, de harcèlements suivis de fuites à la guerre et, par extension, de toutes autres tactiques déloyales que l'on prête si volontiers à un adversaire millénaire.